Il faut qu'on parle de Kevin by Shriver Lionel

Il faut qu'on parle de Kevin by Shriver Lionel

Auteur:Shriver, Lionel [Shriver, Lionel]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Belfond
Publié: 2006-08-25T22:00:00+00:00


Le reste de cet été aura défié tous mes instincts narratifs. Si j'avais été en train d'écrire un scénario de téléfilm sur une méchante sorcière piquant des crises de rage aveugle pendant lesquelles elle pouvait déployer une force surhumaine, j'aurais fait circuler son petit garçon sur la pointe des pieds dans la maison, et il lui aurait adressé des sourires craintifs, offert des gestes d'apaisement, et d'une façon générale il aurait pratiqué le profil bas, le tremblement timoré, et le oui-tout-de-suite, tout pour éviter de traverser des pièces entières de la maison sans que ses pieds touchent terre.

Mais il n'est pas question de cinéma. C'est moi qui marchais, sur la pointe des pieds. Mes sourires tremblaient. Je faisais profil bas et je bredouillais comme si je passais une audition pour un spectacle.

Parce que parlons un peu de pouvoir. Dans la politique de la famille, le mythe prétend que celui des parents est disproportionné. Je n'en suis pas si sûre. Les enfants ? Ils peuvent nous briser le coeur, pour commencer. Ils peuvent nous faire honte, nous ruiner, et je peux témoigner personnellement qu'ils peuvent aussi nous faire regretter de jamais être nés. Notre pouvoir ? Celui de les empêcher d'aller au cinéma. Oui, mais comment ? Quelle force pouvons-nous donner à notre interdiction si le gamin se dirige résolument vers la porte ? La vérité crue est que les parents sont comme les gouvernements : nous ne maintenons notre autorité qu'à travers la menace, ouverte ou implicite, du recours à la force physique. Un enfant fait ce que nous disons - pour faire bref - parce que nous avons le pouvoir de lui casser le bras.

Or, le plâtre blanc de Kevin est devenu l'emblème flamboyant, non pas de ce que je pouvais, mais de ce que je ne pouvais pas lui faire. En faisant usage de la force pure, je m'en étais dépossédée. Haute d'être certaine de pouvoir user de la force avec modération, je me retrouvais avec un arsenal inefficace, une arme fatale inutile, comme un stock d'armes nucléaires. Il savait parfaitement que je ne lèverais plus jamais la main sur lui.

Au cas donc où tu t'inquiéterais de mon éventuelle conversion, en 1989, à la brutalité néandertalienne, toute cette unité profonde, cette immédiateté, cette réalité que j'avais découvertes en utilisant Kevin comme pour un lancer de poids se sont évaporées en une minute new-yorkaise. Je me rappelle m'être sentie physiquement plus petite. Mon attitude s'est détériorée. Ma voix s'est réduite à un filet. Je formulais toutes mes requêtes à Kevin comme une proposition ouverte : « Chéri, tu veux bien monter dans la voiture ? » « Cela ne te contrarierait pas trop si nous allions au magasin ?» « Peut-être que ce serait une bonne idée si tu n'arrachais pas la croûte au milieu de la tourte que Maman vient de faire cuire ? » Quant aux leçons qu'il trouvait si scandaleuses, je suis revenue à la méthode Montessori.

Au début, il m'a fait passer par tout un assortiment de techniques, comme s'il entraînait un ours de cirque.



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